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  • Photo du rédacteurannepatay

Vie de famille (Suite)

Dernière mise à jour : 15 mars 2023



Saint-Florent, Corse, 2006


Ça fait une semaine que j’ai plié mon atelier, j’ai passé une heure à gratter les petits bouts de croûtes de peinture collés tout partout sur le beau carrelage blanc, une sorte de méditation accroupie.

Je fais un « break »…

J’aime beaucoup dire ça, je trouve que je fais plus pro, moins peinteuse du dimanche qui peint gaiement toute la journée sans se poser de questions, en faisant trois tulipes et une corbeille de tomates au couteau.

Je dis pas ça pour les gens qui peignent des tulipes et des tomates ;

Donc je fais un break, ouaiii, pour faire le point, me poser les vraies questions, faire le tour de mon moi-même, prendre de la distance.

Des sortes de vacances.

En plus ça tombe bien, les carreleurs ont transformé la maison en chantier découverte.

On s’est ramassé comme on a pu entre mon ex atelier rebaptisé cuisine fourre-tout –salle-à-manger-etc.…et le coin chambres qui pour l’instant fait comme si de rien n’était.

On fait un genre camping à la maison, on mange dans les assiettes en plastique des trucs chauffés au micro-ondes, pas bon pour notre karma tout ça, le régime bio en prend un coup.

Du coup je re-fume, parce que ça ressemble tellement aux vacances.

Et j’en profite pour me remettre à écrire, on dirait que tout d’un coup je serais devenue une écrivaine super bonne qui s’ignore. J’aime bien. Quand les grilles de Sudoku me laisse un peu de temps bien sûr, parce que ça aussi c’est un sacré boulot.

Parce que là j’étais parti pour une belle crise existentielle de peinteuse, où suis-je, où cours-je ?

Ça finissait que ce que je faisais était de plus en plus moche exprès, parce que quand je fais des trucs jolis, j’ai l’impression d’essayer de plaire.

C’est logique.

Enfin, non, à la réflexion, pas tellement.

Quoique.

Peindre, c’est pas simple.

Comme on a du temps pour penser quand on peint, on a tendance à penser trop, enfin moi, et quand on pense trop, il faut se trouver des sujets de penserie,

on finit par rendre compliquées les choses simples.

La peinture est une chose simple qui se laisse compliquer avec un rare bonheur.

Comment rendre incompréhensible une toile où somme toute n’importe quel individu lambda voit une petite fille mal peignée avec le visage un peu vérolée et qui nous regarde fixement ?

En parlant de non sujet, de recherche de matière, de taches de couleur et de profondeur de la toile par exemple ? Vous y êtes, c’est tout à fait ça.

« En fait t’as pas voulu faire une petite fille dans un décor saumon ? C’est autre chose ? Oui…. Mais quoi…. »

Donc j’en étais là de mes réflexions, et plutôt que de m’encastrer une toile, la plus grande, sur le crâne, pour voir si le signifiant en serait plus poussé, j’ai plié mon atelier, et ça tombait bien parce que les carreleurs…non, ça je l’ai déjà dit.

Il fait de nouveau très beau et chaud.

Je ne sais pas pourquoi je dis de nouveau parce qu’en fait il fait toujours assez beau et chaud par ici.

Il parait que chaque région a des avantages.

Moi je veux bien, mais en Corse, c’est quand même plus facile de les voir, les avantages. Surtout au niveau du temps, je veux dire. Y a qu’à regarder la météo, le soir, avec le petit rigolo qui a l’air d’un chat qui a mangé de la crème.

On se sent tout gêné d’un coup, de voir tout ce gris qui s’amoncelle tout partout sauf en bas à droite.

Ça ne veut pas dire qu’il est désagréable d’habiter dans le Nord-Est, j’ai pas dit ça… On a sûrement des bonnes raisons d’habiter dans ces coins là. La famille…ou d’autres trucs.

J’en profite donc pour passer un maximum de temps le nez dans l’écran d’ordi pliée sur ma chaise ergonomique.

Une chaise ergonomique a ceci de particulier qu’on y est un peu plus mal installé que sur une normale, le derrière sur un truc moitié en pente, on dérape et heureusement, ils nous ont collé un autre truc en pente un peu plus bas pour retenir les genoux,

quand je me relève ils sont tout rouges et un peu douloureux.

C’est sensé protéger le dos.

C’est vrai que comme j’ai mal aux genoux, je ne pense pas tellement à mon dos.


Pour peindre je préfère un tabouret. Mais ce n’est pas n’importe quel tabouret. C’est le tabouret qui était dans l’atelier de mon grand-père, un vieux bien bancal, (pas mon grand-père, quoique lui aussi était vieux et sacrément bancal) avec le dessus tout scié de partout, parce qu’un temps, il me servait d’établi.

Y a aussi des traces de peinture, pas la mienne, une qui ne s’en va jamais qui fait des durillons lisses sous les fesses.

Heureusement que je ne peins pas toute nue, j’aurais un sacré tatouage au niveau du postérieur.

Si ça se savait.

Mais c’est mon tabouret magique.

Je me dis ça, parce que dans les livres, les artistes ont toujours des objets fétiches, ou un chat sur le bureau. Mais Moustique, ça ne l’intéresse pas tellement la peinture, et quand je suis sur l’ordi, lui préfère le canapé. Et je ne fume pas la pipe. Donc…

Pour taper sur l’ordinateur, je n’ai pas d’objets magiques à ma disposition, juste du bordel sur le bureau. C’est un bureau d’artiste, alors forcément. Ergonomique, je sais pas, j’ai un genou qui cogne contre mon étagère à dessin, dessous, ça me mange la moitié de l’espace, et comme l’écran est à droite, j’ai la colonne hélicoïdale.

Je viens de m’apercevoir que je pouvais pousser l’écran à gauche.

Quand on fait faire des travaux chez soi, on a l’impression d’être invité.

J’ai peur de faire mal.

Suis-je une propriétaire comme il faut ?

Ai-je proposé le café au bon moment.

Vite, virer Gala qui s’obstine à faire barrage de son corps aux moments inopportuns. Bien sûr elle a l’excuse de l’âge, 15 ans, oui, elle n’entend plus, d’accord, elle ne voit pas bien non plus, ok, mais dans ce cas, la laisser trottiner au milieu du carrelage frais posé tient de l’insolence.

Si je la vois voler tout à l’heure par la fenêtre, faudra pas se plaindre.

Elle est cantonnée dans la chambre de petit mimi, attachée au tiroir. Va-t-elle s’y pendre, de désespoir ?

Je viens de lui couper toutes ses boucles noires, elle ressemble à un chien en cure-pipes maintenant. Je suis sûre qu’elle sent qu’elle n’est pas à son avantage. Elle fait une moue un peu rentrée.

On mésestime la psychologie animale.

Gala est l’exemple type du chien qui a tout pour ne pas se faire remarquer.

Mais au bout d’un moment, elle trouve que ça va bien comme ça, elle n’est pas un meuble que diable, alors elle vient nous regarder par en dessous, et puis elle nous fait une belle flaque jaune au milieu du salon, elle peut même pousser l’expérience en marchant un peu en même temps, ce qui fait une rigole en pointillé pendant deux mètre ou trois suivant la trajectoire.

Le premier réflexe grossier serait de l’attraper par la couenne et la faire voler sur la pelouse pour lui apprendre les bonnes manières.

Mais feriez vous ça à votre grand-mère. Non, ça ne se fait pas.

Essayer de comprendre le processus de sa réflexion, et à l’inverse, la couvrir d’attention et de bisous.

Et voilà, le moral revient, et elle se met de nouveau à bondir de ci de là comme un agneau, elle se sent de nouveau le centre affectif de notre maison.

Et nous on est fier de ne pas avoir cédé à la violence tout de même.

Il faut se mettre à sa place, gratter pendant 10 minutes sur un des battants de la porte vitrée alors que c’est l’autre battant qui est ouvert, c’est pas marrant. Et ces bipèdes stupides qui s’esclaffent grossièrement.

Pas drôle de vieillir.

Pour nous aussi, passer la quarantaine ça a été une épreuve. Bon on ne se cogne pas encore dans la porte vitrée.

Quoique. C’est arrivé à tendre chéri il y a peu. Mince.


Mais on se scrute dans la glace de la salle de bain pour les voir arriver les sales petites rides, les trucs moches, les failles. Moi c’est les poches. C’était fatal. Plus ça va, moins ça va, elles se font la malle. Normal pour des valises.

J’ai arrêté l’alcool. Pas de changement.

J’ai mis tout le monde au bio. Le résultat sur les valoches n’est pas encourageant, heureusement que c’est bon pour le reste.

L’huile d’argan, soi-disant ça devait tenir du miracle. Alors ok, doudou et moi, maintenant, on a la peau douce comme des fesses de bébé. La peau de mes poches est plus douce aussi mais bon, c’était pas tellement le souci.

Ça doit être de regarder qui me fatigue les yeux. Faut que j’arrête.

De toutes façons maintenant je tiens la solution à tous mes problèmes, j’arrête des trucs pour voir ce que ça fait. On s’habitue.

J’ai arrêté le lait de vache, j’ai lu plein de trucs passionnants là-dessus, qui m’ont vachement convaincu.

Ça fait 6 mois.

Je suis allergique au pollen normalement.

C’est intéressant.

Je ne ressemble plus à un nid de guêpe qui pleure au printemps, enfin jusque là ça va, c’est bien moins pire que ce n’était. Alors du coup ça m’a donné l’idée. Et si en arrêtant des choses c’était bien. C’est sympa comme théorie.

L’arrivée dans la quarantaine, c’est comme d’ouvrir la porte du fond, on se dit, ah oui, c’est là, y a des choses qui se profilent à l’horizon qui sont bien moins attrayantes que quand on fête ses 10 ans. J’en connais qui se sont mis au Tai-chi pour bien moins que ça.

Du coup on commence à se rendre compte de tout le bazar qu’on a fichu jusque là.

Quoi, ça fait 40 berges que tu t’empoisonne avec les même raviolis en boite, depuis le temps qu’on te dit qu’il y a du chien là-dedans. Et qu’est-ce qu’on a été irresponsable avec notre corps, on a joué avec le feu, on a brûlé la banane par les deux bouts…

non, l’expression exacte je crois que c’est pas ça…

Heureusement, Internet est mon nouveau gourou, j’ai trouvé la lumière, j’ai toujours une solution maintenant, suffit de taper un truc et on a tout plein de pages qui débordent sur le sujet qu’on a même pas demandé.

Tout pour vivre sain, du sol au plafond, y a même des trucs pour nettoyer les cabinets, plus sain.

J’ai du mal à mettre tout le monde au naturel.

Chez mimi n°2, c’est son naturel à lui qui l’emporte. Il revient tout le temps au galop. De toutes façons, suffit que je lui montre un truc que je trouve super méga intéressant, bon, délicieux, sain, et tout, pour qu’il le regarde en faisant :Berk. Le quinoa : berk, le boulgour : berk, même la confiture bio, il s’en méfie…. "Pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »…j’ai lu ça où, déjà?

Mais il feinte, je sens qu’il feinte, parce que quand même il ne voudrait pas être le dernier de la famille à avoir découvert la chose.

Alors il veut bien boire du lait de soja à la vanille (en plus c’est même bon, chic) mais uniquement celui-là, là, la boite elle est violette et jaune et blanche et si c’est pas celle-là, (y en a des milliers d’autre qui ont le même goût) c’est berk. A part, ça on a pas des enfants capricieux.

Pour qu’il freine son élan gustatif, il suffit que je rajoute à la fin : « bio », tu veux de la confiture (il est prêt à s’élancer pour attraper le pot) ….bio ? (Pouf, il retombe sur sa chaise) Le pauvre il est complètement brimé par cette mère totalement déjantée qui s’imagine qu’on nourrit correctement ses enfants en les privant de tout ce qui fait le plaisir d’exister à 10 ans.

Le nutella, les pizzas 3 fromages, les hamburgers, je connais tout par cœur.

Et moi je m’obstine, quelle grosse vilaine à priver mignon chéri de ses dégueulasseries préférées.

Bon d’accord, de temps en temps je suis pas contre un bon truc débordant de mayo et de ketchup, moi aussi je l’avoue, même si je m’efforce de découvrir les vraies valeurs gustatives du chou carottes.

Grand doudou, c’est pas la même problématique, vis-à-vis de la nourriture, j’entends.

Du moment qu’on peut l’absorber d’un grand glop, c’est bon,

Au petit-déjeuner, il ne sert à rien de se servir de la cuillère pour les céréales. Plonger son bol dans la boite va beaucoup plus vite et présente un maximum d’efficacité. On ne peut pas s’empêcher d’ouvrir des yeux et des bouches horrifiées en voyant la boite prendre une grande claque à chaque fois, mais par le regard fataliste que nous échangeons, tendre chéri et moi, tant de choses s’expriment : « c’est la vie, t’as vu la carcasse, faut bien nourrir tout ça, combien il mesure déjà ? »

Et oui, on en dit nous, avec un seul long regard fataliste.

Mis à part ce léger inconvénient (pas la peine de lui prévoir de petites chosuscules délicates à pas de prix) Grand doudou avale tout, teste tout, goûte, suppute, soupèse, marmonne, crée des mélanges insoupçonnés, plus ça explose dans le gosier meilleur c’est. Il aime la nourriture TNT, et qui cale.

Il ressemble 100% à ce qu’on imaginait d’un ado, il faut un bulldozer pour entrer dans sa chambre, une grue pour le lever quand y a des trucs à faire, et les murs ne sont pas assez grands pour absorber tous ses désirs en poster : voitures, scooters, motos, etc..

Sa réponse la plus courante à toute sollicitation est « attends… », Mais si on est posé quelque part à profiter de rien, son leitmotiv est: « bon, on y va ? ».

Il aime bien être partout mais plutôt sans nous si c’est possible, sauf pour les courses.

Et rendre des services si c’est monnayable.

Il est toujours accusé à tort, son vélo se déplace la nuit pour aller crever tout seul, ses papiers importants sont comme de vieilles choses éteintes au fond du cartable, ses trousses disparaissent mystérieusement, de même que ses gilets, il est torse nu en hiver et manches longues par plus de 30°.

Il s’amuse à faire des cris de phoque avec sa voix qui mue et ses chaussures sont largement les plus grandes de la famille.

Il imagine un avenir rempli de choses motorisées ultra puissantes, relookées, tunées, flachies, avec des sono de la mort-qui-tue, des villas monstrueuses, un métier qui lui laisserait le temps de monter un groupe super connu, d’être champion de voile, et accessoirement de moto-cross.

Si on était des parents plus cools, il aurait le droit de regarder un max de films bien gore et dégoûtant de sang, les matches de foot et les concerts de « je gueule plus fort que toi ».

A part ça, son grand corps musclé malgré le temps passé devant les écrans, vient se lover contre maman ou papa pour se faire grattouiller le dos.

Je suis complètement perturbée par le passage des carreleurs.

Bien sûrs ils sont gentils, ils papotent et tout, mais là, j’ai l’air d’une courge devant mon ordi.

Tout à l’heure j’essayais vaguement de faire du Toppi, un illustrateur vraiment génial, mais il faut que je me rende à l’évidence, ça me prendrait énormément de temps de dessiner comme lui et ça ne servirait pas à grand-chose.

Tendre chéri m’a murmuré hier, d’un ton légèrement interrogatif : tu ne devrais peut-être pas trop te disperser ?

J’étais arrivé à caler la bête pendant quelques temps, coincée sur le chevalet, elle n’osait plus moufter, mais là, forcément comme j’ai plié l’atelier de peinture, elle se permet de folâtrer, la vilaine, et si je dessinais, comme Toppi, st si je continuais mon espèce de journal pour rire, et si… et si je devenais une pro du Sudoku ? Peut-être qu’avec ça je gagnerais un max d’argent pour nous faire vivre doudou et moi, pour nos vieux jours et couler un luxe quotidien.

Je lui avais déjà promis que je deviendrai une peintre riche et célèbre, mais je sais pas trop quand je vais faire ça.

Alors écrivain riche et célèbre ? Ouai, c’est bien comme idée, mais déjà faut l’écrire le truc, et puis que ça soit intéressant, qui va avoir envie de lire les réflexions oiseuses d’une dilettante patentée…

Par la fenêtre j’ai repéré « gros lard » le patron du restau bruyant, il est en costume, c’est rare, j’essaye de deviner : il vend, il attend donc son acheteur, ça se tient, mais il a prévu une grande fête zimboum à la fin du mois, avec Hubert Tempête, flûte.

Non, il est avec un type en costume pistache qui secoue un truc dans les rosiers, j’y suis, c’est la bénédiction des maisons, crotte je me suis pas inscrite, peut-être que la maison pas bénite, ça va se voir, elle sera un peu plus grise ou avec un nuage noir au dessus, ou si y a un incendie comme l’année dernière, elle sera la seule à cramer. Et les gens passeront en secouant la tête, un peu voûtés, avec les mains dans le dos.

Il parait qu’il va y avoir tout un lotissement à côté, 40 maisons, deux immeubles et même des magasins. Je suis partagée entre l’horreur et le ravissement, ils vont me bousiller mon petit bois de pins, c’est Mon petit bois, c’est moi qui le regarde tous les jours.

Ils vont les couper tous et le lotissement s’appellera : Les Pins

On va peut-être avoir une grande surface juste à côté de la maison….dingue…

En même temps c’est super excitant, il va y avoir un max de travaux à observer, plein de bruits divers, une animation du tonnerre, à côté Hubert Tempête, c’est de l’harmonica dans une bassine.

Mais on aura plus le petit chemin qui sent la myrte, et qui grimpouille sur la colline. D’en haut, on a l’impression d’avoir grimpé l’Annapurna, et on voit tout Saint-Florent.

Après ce sera plus pareil, on longea les maisonnettes fleuries, on ne dira pas bonjour parce que quand même. Il faudra faire attention aux voiture vélo, mobylettes, et plus aux cailloux. On aura l’air de quoi ?

C’est pas maintenant qu’on a un beau carrelage (c’est vrai qu’il est magnifique, il me fait penser à Gréoux) qu’on va aller se chercher un truc bien isolé dans le maquis, de toute façons, tendre doudou n’est pas d’accord.

********

En ce moment, ça me manque de ne plus dessiner.

Je n’ai plus ma peinture croûteuse pour vider mon sac, et de tomber sur un type qui dessine tellement mieux que moi et juste comme j’aimerais savoir le faire, ça me plombe le moral, je fais des essais piteux, mais l’ampleur de la tâche me terrifie.

Et puis ça ne servirait à rien, je ne vais pas me mettre à la BD, je suis bien trop paresseuse. Je ne vais pas me mettre à l’illustration non plus,

C’est difficile à expliquer, j’ai envie de dessiner ce que je vois, des trucs qui ressemblent et en même temps dès que je m’y mets, y a comme une langueur, c’est toujours la même chose, ça ne me surprend pas, en tous les cas pas en bien.

J'ai les même défauts qu’avant, et mon dessin ne m’intéresse pas.

Dans mes dessins, y a tout moi, toujours les même sujets, les même figures, le truc un peu détaillé, mais finalement qui en dit trop, c’est pas très bien ombré, ça sort moyen, oui bien sûr y a un petit coup de crayon, mais franchement, ça ne me fait même pas plaisir.

Ma peinture n’est peut-être pas bonne mais quand je la regarde, ce n’est pas moi que je vois, et ça me plait.

C’est sûrement une bonne nouvelle d’ailleurs, si en me remettant au dessin je m’étais rendu compte que j’avais quelque chose à faire par là, j’aurais été bien embêtée, laisser la peinture, et l’écriture ? Pour quelle destination ?

Là je suis déçue, oui c’est sûr, mais au moins le chemin s’éclaircit.

Mais je suis triste aussi, parce que je venais juste de m’identifier à la fille du roman que je lis et qui a un sacré coup de crayon à en croire l’auteur. Mais peut-on croire tout ce que disent les auteurs, après tout c’est bien facile de doter son personnage de toutes les qualités comme ça d’un coup de baguette magique. Faut se la coltiner, la vraie vie et on est pas tous doués comme Léonard de Vinci, faut pas pousser mémé dans l’escalier.

N’empêche je me voyais bien comme la fille, là, super douée qui s’ignore. Elle peut faire tout ce qui passe devant ses yeux et d’après le livre, les gens se reconnaissent à chaque fois, et poussent des cris d’admiration.

Elle va finir par m’énerver cette fille là !

Parce que le portrait dans la vraie vie, c’est pas du tout comme ça.

En général, la personne dont j’ai fait le portrait, elle demande : c’est moi, ça ?

Déjà, ça me plombe, je rêve d’un boulot pépère planquée au fond d’un placard à cet instant précis.

Puis comme un doute affreux : et si je m’étais trompée de personne ?

Mais je regarde mon « sujet » et il faut se rendre à l’évidence, même si la photo était bien plus flatteuse, j’ai en face de moi la petite blonde très souriante et bronzée qui pose sur un bateau.

Bon, là, elle a plutôt le teint rose verdâtre puisqu’on est en hiver, les poches se voient plus forcément, ça fait violet .

En fait, elle voudrait bien se reconnaître et pas avoir un air de « mon dieu, j’étais jolie à cette époque, je ne me souvenais plus ». Son mari fait : "si si c’est vraiment toi ma chérie", mais les hommes ont horreur de tout ce qui ressemble à un semblant de conflit.

S’il savait comme je l’ai scruté moi, tout, les petits détails, la peau qui plisse là, la petite patte d’oie ici, le nez , attention la ligne du nez, c’est hyper dur, ne pas faire une oreille plus grande que l’autre.

Y a un petit boulot de chirurgie esthétique, mine de rien, il ne faut absolument pas que ça se voit, là est tout le truc, comme la très bonne chirurgie, un air un peu plus neuf, c’est tout, atténuer mais jamais enlever. Ce gros grain de beauté, le conserver bien sûr ; mais à peine à peine le diminuer pour qu’il fasse moins verrue, la couleur des yeux, un petit coup de pinceau magique et au lieu d’être « huître », elle est pierre de lune, ombrer à peine un poil les cils, et nous voilà avec le dernier must de chez Grissil qui donne tant de velouté au regard.

Moi qui suis incapable de me talocher le visage correctement, d’ailleurs je ne le fais pas, juste un coup de khôl par extraordinaire si je suis tombée sur le pot, et encore j’arrive à me crever l’œil une fois sur deux avec le bâtonnet . Loin de moi, les petites poudres faramineuses, les ombres, les blush, les gloss, les trucs et les machins.

Mais sur un dessin c’est super facile, et si on a raté le coup de pinceau sur le sourcil, on efface et on recommence, au moins, y a pas de poils pour compliquer.

Alors bien sûr les photos sont parfois immondes, il en reste plein dans les tiroirs des gens, de ces photos merdiques prises à l’instamatic, on les connaît, on a pris les même :

« Vous voyez, là, derrière mon cousin Léon, je suis avec ma filleule, celle qui a le tee-shirt jaune »

Et moi, je vois vaguement deux brunes floues assises de biais sur une table au fond de la photo avec des bouches qui rient tellement qu’on ne voit que leurs dents, on a envie de leur crier : revenez plus près s’il vous plait vous êtes trop loin .

Mais je dis: oui elle est formidable cette photo, aucun souci.

« Vous êtes sûre ? Parce que je n’en ai pas d’autre avec elle, alors voyez, donc si vous pouviez faire celle là. Et la filleule , elle est morte ou partie tellement loin qu’il n’y en aura peut-être jamais plus de photos, alors bien sûr qu’on le fait ce portrait merdique qui va nous faire suer d’angoisse sur le papier gris.

Ou c’est une photo toute mangée et qui sent le tiroir de la cuisine, où on voit un papi à béret : « je n’ai que celle là de mon grand-père, je n’ai plus que celle-là », et qu’est-ce que vous voulez que je lui réponde : « elle est pourrie ta photo, m’dame, on lui voit même pas la moitié de la figure à ton pépé, en plus elle tellement passée qu’on dirait qu’il existe pas ». Nan, évidemment on peut pas dire ça, on dit : « je vais faire ce que je peux », et évidemment on essaye de tirer des vers à ce nez là, si y a encore le nez, en espérant que tout le monde a oublié à quoi il ressemble vraiment.

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