top of page

Le chemin du paradis

  • Photo du rédacteur: annepatay
    annepatay
  • 16 avr.
  • 4 min de lecture




 

 

        On est rentrés de Nouméa, quelques mois au Manoir entre grand-père et Mamie, (où étaient les parents, mes frères ? j'ai des trous) puis direction Gardes, le Lot.

    J'ai déjà parlé de Gardes, une petite vieille dame en pierre sèche accoudée à sa colline, ce sont des Anglais qui l'habitent maintenant, le monsieur ressemble à papa et la maison n'a quasiment pas changé.Une année, là, avec juste ma mère et trois de mes frères, papa ne vient que certains week-ends.   M. part à Moissac le lundi matin en mobylette, il est pensionnaire, F.et Y. prennent leur vélo pour aller au collège à Lauzerte, à 13km de là. Moi, j'ai 9 ans, mon vélo rouge et le droit d'aller à l'école toute seule à Saint-Urcisse.

J'ai tiré derrière moi la porte qui pèse une vache, elle fait un grincement et bouscule le chambranle en se fermant.

  Le soleil n'est pas encore de ce côté, il fait sombre, froid, un peu voilé de brume. Mon vélo est dans le garage , adossé aux pierres, je suis obligée de frôler les creux duveteux de toiles d'araignées, j'arrime mon cartable sur le porte-bagage.    Je prends le chemin cailloux sans réfléchir, ou juste à la peine, de se lever tôt, d'avoir froid, d'être seule, et puis je dépasse les buissons, les talus, et le soleil me tombe dessus comme un ange, je ne vois plus rien, ça scintille de partout, le froid claque comme une pierre, c'est le premier jour de ma vie, j'ai les pommettes glacées, les oreilles qui grelottent, les dents qui résonnent de froid, et mon cœur est comme une pomme, le monde m'appartient. Enfin.       Je ne l'ai sûrement pas pensé à chaque fois, cette montée jusqu'à la route elle devait me paraitre longue aussi, ou juste chiante avec tous ces cailloux qui bloblotent mes roues, mais arrivée entre les deux petits chênes maigrelets, j'étais la reine.   Après, une fois sur la crête, la petite route à peine large comme une 4L et grignotée par les herbes file sur la colline , rien de tendre ni de vert ici, c'est pierres blanches et grise, lichens, petits arbustes piquants, c'est du causse, que pour la brebis ou la vigne.  Au carrefour, à gauche ça monte vers Tréjouls, à droite c'est la pente de Gragnoulet. Marianne m'attend.Le retour est moins silencieux, on lâche le copain Baussac qui dégringole vers sa ferme, le grand dont je ne sais plus le nom qui file vers Cazes Mondenard, on papote on pépie, puis on se sépare.    A l’école, il y a Monsieur et Madame Artazona, elle fait la maîtresse, il fait la cuisine. Rien que leur nom de famille m'impressionne, et l'accent qui l'accompagne et qui roqueroule comme une avalanche. Les premiers jours, je suis comme en terre étrangère et je ne comprends rien, je ne sais plus si j'en suis effrayée ou enchantée.

Nous sommes 6 ou 7 CM1, il y a deux CM2 dont un garçon que j'observe à la dérobée, puis plein de petits, et même ceux qui font encore pipi dans leur culotte.

  On apprend les poules, les lapins, les rémiges, les gallinacées, les pistils, les corolles. Il y a deux tourterelles dans une volière dans la cour, la salle de gym est le pré derrière. L'herbe est haute, ça amortit.Pour rentrer de l'école, il faut commencer par la côte.  Au dernier tiers, on tombe les vélos, il y a une source cachée dans le fossé à gauche, on tape les herbes pour les vipères. Les roches d'ici sont râpeuses et crayeuses, pas de galets oblongues et doux, c'est de la caillasse, avec parfois quelques cristaux de "diamant". Elles sont colonisées de mousse près de l'eau, mais même la mousse est sèche et prudente.

Les arbres sont comme des mains brulées, l'écorce est noire, le corps faible et arthrosé, des petits chênes verts, des petits soldats souffreteux, quand on les frôle, c'est rêche, lichens et mousses, petites feuilles armées.

  J'aime rentrer à la maison, je me souviens de la salle, son plancher qui sonne creux, la cheminée énorme comme une bouche noire et sale, les fauteuils en tapisserie si laids, le tapis de coco, les murs chaulés, la grande table en châtaigner qui grince et crie, les chaises qui tanguent, le pain qui sent le ferment, croute épaisse et chair tendre. Tout à un goût extraordinaire, le melon des Oulmayoules, en confiture, petits cubes translucides, les figues gobées près de chez Marianne, les pêches de l'autre côté quand on monte derrière la maison. Chez les Lagarde, nos voisins d'en dessous, on fait du chasselas, Madame Lagarde dit : "Du schassssela, walou, ah, chavèch! " (là, elle parle à son chien)  Il est doré, à petits grains, la peau est fine, on le nettoie avec de touts petits ciseaux, dans l'atelier. Elles sont nombreuses, les voisines toutes en tablier bleu, à installer les grappes comme des nouveau-nés dans les caissettes bien bordées, c'est du précieux, de l'or fin.

Madame Lagarde a une tête en creux avec un menton en galoche, ses yeux sont beaux, gris et clairs, quand elle nous regarde, ça pétille là-haut, même si sa bouche est mince et serrée, on sent son rire proche. Ses cheveux de fil, bien rangés, sa blouse de nylon, elle est toujours un peu penchée en avant, prête à donner la main, "A par exemple !" est son exclamation favorite.

Monsieur Lagarde, c'est plutôt : "milédiou !", la roulée baveuse au coin du bec, les lunettes trop basses et les yeux encore par dessous, la casquette scotchée à vie sur le crâne. Il souffle en travaillant, c'est le cœur.

 

Commentaires


bottom of page