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Photo du rédacteurannepatay

Palais de sable

Dernière mise à jour : 22 mars 2023

Corse, 2007


Je rêve ou nous vivons tous dans des palais de sable?


Même pas de sable: de poussière, de brouillard, des prisons de fumée. des tourbillons, des constructions imaginaires, des mondes immatériels. "Je ne pourrais pas vivre sans ... peindre"

Un autre me dit: "je ne pourrais pas vivre ailleurs qu'en Bretagne". "Je ne pourrais pas me séparer de mes chats" (chevaux, chiens, perruches, serpents à plumes, etc...) "Je ne pourrais pas me passer de... mon piano" (ma moto, mes photos, mon ordinateur, etc...) Notre vie s'articule d'une façon extrêmement rigoureuse, sur des choses "indispensables", elle acquiert ainsi une rigidité qui, si elle nous était imposée, serait insupportable. Une dictature. Cela nous semble répondre à nos désirs, à nos passions, à nos affections. Mais le serpent s'enroule inexorablement autour de nous, le serpent des choses indispensables. Et puis il y a toutes les choses que nous feignons d'endurer avec de légers soupirs de lassitude: mes enfants ont tellement besoin de moi, ils ne pourraient pas se débrouiller. Je suis obligée de m'occuper de leurs vêtements, (devoirs, santé, amis, etc...) Encore des pièces s'ajoutent à la construction imaginaire, un étage de plus, le fardeau est enduré avec adoration, et impatience. Après, ce sera bien quand....ils seront grands, ils sauront se débrouiller.. Parfois des ruptures, des accidents, des bouleversements cassent le beau montage, et on se retrouve léger, flottant, les racines à l'air, voguant dans le courant. Mais ça ne dure pas, il faut ré-endosser des choses, reconstruire un monde de : "je dois faire, je dois m'occuper de, j'ai besoin de .." Pourtant, on sait pour l'avoir vécu enfant, que tout ce qu'on a voulu pour nous nous semblait déjà un fardeau, nos parents commençaient pour nous une construction de projets, d'idéaux, et nous le posait déjà sur le dos. Moi j'aime peindre. Et peindre me sauve aussi . J'admets que cette chose (certainement pas indispensable comme je me plais à l'imaginer), me permet de ne pas encombrer la vie de mes proches, en bref, de leur "lâcher la grappe". Si ma peinture s'enraye, et m'ennuie, je vais sans doute m'appliquer à remplir l'espace de mes enfants: conseils, avertissements, directives, répétitions, je me mets à surveiller leurs devoirs , le rangement des chambres, leurs allées et venues, à vouloir des choses pour eux, bref à manger leur atmosphère, à poser des briques sur leur dos. Toutes ces choses si indispensables(sic)... En réalité, de quoi avons nous besoin: -De manger, de dormir, de jouer, de s'aimer, et si possible de pouvoir exercer son esprit et son corps sur des matières qui leur résistent, se sentir créatif dans quelque chose , oui voilà aussi sans doute une chose qui nous est vitale. Mais on a été élevé de telle façon que s'encombrer la vie fait partie de nos évidences, se créer des soucis, des responsabilités, on pense qu'un parent sans litanies n'est pas un bon parent, que la famille est obligatoirement une zone de conflits, puisque nous voulons des choses pour nos enfants, qu'ils refusent ou négligent..(les ingrats) En continuant à dérouler la bobine, qu'est-ce que je trouve? Cycliquement je me sens redevenir nomade, je me projette ailleurs, et enverrais volontiers tout valdinguer autour de moi, tout balayer, pour ne garder que l'essentiel: les trois mecs qui forment ma famille. Je me suis toujours méfiée de cet état d'esprit là.

Une fois de plus l'éducation me rattrape par le col pour me souffler:

-"Dis donc ma belle, c'est quoi ces envies: fuir? Faire tomber le château de cartes pour le remonter ailleurs? C'est mal, tu sais? Ça veut dire que tu n'as pas de constance, pas de fidélité, pas de patience…

Il faut construire lentement et durablement, et conserver chaque acquis.

Tu gaspilles , mon enfant, tu es instable! " Si j'avais résisté, jeune adulte, à l'appel du sac à dos, je serais peut-être toujours en train de frotter la sciure d'un manège de mes boots usés, la clope roulée au coin du bec et en train de lancer comme au premier cours à mes élèves cavaliers mes directives éraillées: "demi-voooolte! Maaaaarcheeez z’au paaas "

Si je n'avais pas fait 10 clubs, restant 8 jours là, un mois ici, comment en serais-je arrivée à la conclusion que ce métier n'était pas fait pour moi? Si j'avais eu de la constance à l'époque, je me serais pliée, adaptée, engoncée dans un rôle qui n'était pas le mien. Donc revenons à nos moutons: partir, c'est mal, rester c'est bien. C'est ce qu'on a essayé de m'inculquer. En déménageant tous les deux ou trois ans, pas facile. Donc ça n'a pas marché. Mais m'en reste toujours l'empreinte, et donc une certaine culpabilité à l'idée de ne pas respecter ces consignes . Où je suis, je plante des arbres, je plante des graines d'amitié, avec l'espoir de voir pousser et fructifier tout ça, et un peu d'angoisse à l'idée de devoir le gérer dans le temps. Mais l'obsession, tenace, est tapie: Rester c'est mourir un peu, et non l'inverse. Je sais bien moi, que la répétition, les habitudes, les automatismes ensevelissent le temps.

Les journées qui se ressemblent finissent par n'en faire plus qu'une.

Trois jours ailleurs, et c'est un monde qui s'est déplacé, tout ce qu'on voit, tout ce qu'on ressent est différent. En voilà bien, une idée adolescente: vouloir vivre chaque journée comme si elle était unique.. En ce moment, j'ai l'impression de vivre à la retraite. Très bien, mais dans un truc doux moelleux, confort, sans risques (enfin...presque..), et au soleil. Il y manque le flot de la vie, on dirait qu'on est "à côté". C'était sûrement nécessaire, j'ai travaillé à l'abri, forgé ma conviction de peintre qui n'était qu'une petite feuille timide sous le vent . Et maintenant je rêve de me risquer de nouveau, de nager fort, de voir les autres, la vie fourmillante sur la terre ferme. Raser mon château de sable pour en construire un autre.

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