Depuis longtemps, je fonctionne à la récompense, « tu fais cette tâche, et tu auras une récompense »
Je ne sais pas comment c’est arrivé, je suppose que notre société est organisée de cette façon, notre éducation aussi, et que cela devient tellement ancré en nous , tellement réflexe, que nous ne songeons absolument plus à le remarquer. Et pourtant, c’est sans doute un des leviers les plus auto-destructeurs de notre fonctionnement, non seulement auto-destructeur mais limitant, astreignant, appauvrissant.On ne remarque vraiment que les plus « toxiques », cigarette, alcool, etc.Mais pourrait en faire partie toute action qui vise à nous retirer d'un vécu en cours, à suspendre, à créer un espace , à détourner l’attention.Dans mon atelier, il n’y a rien, juste ma peinture et moi.Cela ne me suffit pas. Je rajoute la radio, du blabla, ou de la musique, j’y rajoute des trucs à grignoter, des noix, du chocolat, j’y rajoute quelque chose à boire… bière… j’y ajoutais mes chères cigarettes roulées.. j’y ajoute la consultation régulière du portable, posé pas loin…Je suis là pour laisser sortir les choses de moi, les regarder s’accomplir, les soutenir, les encourager, jouir du passage des couleurs sur la toile, de la liberté dont je bénéficie.Mais régulièrement j’éprouve le besoin de suspendre cette belle matière de temps, entière, concentrée, pour autre chose…. Une récompenseCe faisant , je casse la belle ligne de temps, le beau flux, je l’interromps sauvagement.
Je suis comme un setter tombé dans une piscine vide, et qui bondit comme un ressort pour voir à l’extérieur..PourtantL’autre jour, je sentais le malaise arriver, le trop plein, je ne savais pas d’où ça venait, et dans ce cas j’accuse toujours la peinture, d’être trop..Et puis j’ai arrêté la radio, ou la musique. Et dans ce silence, comme une main posée sur mon front, apaisante, j’ai retrouvé l’envie de poursuivre.Cette récompense qu’était la présence du « bruit » ne faisait qu’amplifier la complexité du moment, me rendant le processus beaucoup plus compliqué et fatiguant.Le fait d’avoir arrêté la cigarette (une fois de plus, et pour combien de temps) a également enlevé un petit cérémonial de mise en route et de pause dans mon temps de travail qui en fait étaient autant de ruptures et de coups de freins dans mon élan,je me pose la question : pourquoi désirer un répit, un répit de quoi ? Je suis en train de naviguer dans mon monde et de temps en temps je dois sauter de ce train sur le ballast caillouteux , pourquoi ais-je besoin de ces « récompenses » dans le moment de peindre ? Par habitude ?Or ayant supprimé la halte de la cigarette, ayant pris le réflexe de stopper le bruit dès que je sens que c’est trop, je rentre dans un moment merveilleux, plongé dans mes couleurs, laissant mon esprit divaguer sans autre support que la triangulation de mon regard, des pigments et de la surface que j’entreprends de faire vivre. Là est le véritable bonheur de peindre, quelque chose de fragile comme une fleur de mimosa, qui a besoin que les repères s’effacent, les lignes de fuite disparaissent, les contours s’illusionnent, je n’ai plus qu’un interlocuteur, mon inconscient, qui me pousse vers des contrées que je ne voyais pas.
28 Mars 2018
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