Juin 2001
On est parti faire du camping , dans un camping.
C’est la première fois , une aventure humaine , en quelque sorte...
Ça nous fait drôle de découvrir un monde inconnu, avec tout un tas de règles spéciales. Au niveau de l’habitat, par exemple, c’est pas du tout la même chose que chez nous, dans le monde civilisé.
Par exemple, à côté , il y a une caravane beige avec des liserés marrons, posée sur ses petits pieds en fer un peu ployés sous l’effort.
Devant, en véranda-salon-salle à manger, ça fait comme un grand machin en tissu marron avec des carrés en plastique transparent . "On aurait dit que ça serait les fenêtres, et ça on aurait dit que ça ferait l’entrée".
Des fauteuils pliants en tissu à fleur , une table pliante..
Un jerrycane de 200 litres, un seau de nuit mauve...
Je ne fais pas de commentaires, je regarde, c'est tout..
La corde à linge de 18 mètres de long avec de la lessive de trois mois..
Le bateau gonflable, les vélos, les boules de pétanque..
Le fauteuil inclinable en moumoute marron avec sous nuque et sous pied et aérodynamisation de la position plein-air.
Une petite guirlande de lampions pour donner un air de fête.
C'est pas du camping sauvage.
Ce qu'il y a de bien dans ce camping, c'est qu'on est au milieu et qu'on voit tout.
Enfin , on fait semblant de ne rien voir , on a pas l'habitude.
Plus tard, nous aussi, on mettra nos chaises pliantes tournées vers les centres de haute activité: les sanitaires, la piscine...
Le campingueur , vu son dénuement ne peut se permettre de faire la fine bouche , il doit laisser en arrivant son quant à soi tomber comme une vieille chaussette, savoir qu’on le verra sortir des toilettes, et s’il va ensuite se laver les mains ou pas.
Les rangées de cabinets ne permettront pas non plus le secret dans lequel on aimerait tenir ses désordres intestinaux. Des dialogues de pets s’instaurent dès le matin dans la plus grande convivialité.
On reste à cette occasion très étonné, soi-même posé sur le trône, d’apprendre que chacun a , même dans ce domaine sa personnalité propre. Pas une émanation ne se ressemble et il demeure très difficile d’attribuer les effets sonores selon des critères d’âge, de sexe ou de nationalité.
C’est un concert divertissant et très inventif qui encourage le nouvel arrivant à se joindre au choeur.
Il peut être également intéressant de venir au moment des vaisselles dans le lieu prévu à cet office. Un campingueur n’est pas macho, il fait la vaisselle aussi souvent que sa dulcinée des toiles de tente, sinon plus .
L’autre jour, j’avais comme voisin d’évier un grand anglophone mélancolique. Baraqué comme un gladiateur, la tête penchée, il faisait mousser sa petite éponge avec douceur.
Comme je terminais la mienne vaisselle comme une torpédo, pour bien montrer qu’étant femme, dans ce domaine, je ne craignais personne, il avait à peine et mollement frottiné trois assiettes .
On oublie comme l’évier peut-être vécu comme un lieu de méditation.
Sinon, pour rester traditionnel, le système efficace du trio féminin, la maman et les deux filles, maman lave, fifille n1 rince, fifille n2 essuie . En camping, les femmes plus encore qu’à la maison, se veulent terriblement efficaces.
C’est amusant également de croiser les chiffonnés du matin, la serviette sur l’épaule, les pieds nus dans les tennis avec les lacets qui traînent, on dirait qu’on fait tous partie d’une grande colo.
Il y a de toute évidence parmi tous ces gens des directeurs de banques, des plombiers ,des vendeurs d’encyclopédie, des informaticiens qui n’imagineraient pas une seconde être vus en caleçon froissé par leurs collègues.
Mais là comme par miracle, ça ne gêne personne, on feint de trouver tout à fait normal de voir madame aller faire son pipi du matin en savates, la nuisette au ras des fesses et le cheveu vilainement choucrouté, avec encore des plis du drap sur le côté de la figure. Monsieur a quand à lui choisi un intermédiaire à peine plus seyant, pull bleu marine du plus bel effet sur fond de slip blanc flottant.
De toute façons au niveau vestimentaire, les critères ne sont de toute évidence pas du tout les même qu’à la maison. Ici , le pire est normal et même bien venu si vous ne voulez pas vous faire remarquer.
Arriver avec un bronzage impeccable et un superbe bikini au bord de la piscine relèverait du manque de savoir vivre le plus élémentaire.
Un grand tee-shirt paisiblement douteux, avec les pans de travers sur des cuisses marmoréennes et grumeleuses pour mesdames. Aux pieds, des mules en plastique jaune de chez Banzaï .
Les enfants sont en Mickey avec des tortues ninjas gonflables autour des bras et un ballon Pokémone , et papa arrive avec la glacière , le Paris Pêche, et un grand maillot de bain pour trois qui lui remonte aux aisselles.
Le clan de ceux qui ont tout n’est pas forcément le plus envié, par comparaison, les “routards”, avec leurs motos, leur toute petite tente avec sûrement des matelas horriblement fins, leur combin’ de cuir qui sèchent, même pas de table pliante, alimentent plus sûrement la gazette du camping.
Les plus hardis des ados viennent renifler de près l’odeur terriblement bestiale qui émane de toute cette sauvagerie, et lorgner les gros cubes posés sur leurs cales comme des scarabées .
Les propriétaires de ces machines diaboliques sont le plus souvent allemands, ou hollandais, grands , blonds, le cuir rougi par la rudesse de leurs vacances, giflés par la brise autoroutière. Ça fait comme une pub pour l’après rasage.
Les autres, les installés, avec leur tout, leur douche perso, leur fourniment tout éparpillé rangé autour de la cabane-caravane, les regardent comme Robinson Crusoé regardait Vendredi.
Un monde d’incompréhension les sépare.
Le campingueur de base n’est pas un scout d’hier, il trouve simplement plus amusant de se retrouver au milieu de ses congénères, c’est comme les pingouins sur les glaciers de la baltique, ensemble, on est bien.
On fait facilement des amis, on peut parler des vacances de l’année dernière, -”Ahh, St jean de Luz, c’est maaagnifique. C’est simple, c’est la montagne qui se jette dans la mer” murmure, évanescente, la madame du 112 en caleçon cycliste de chez Michelin à la madame du 113 en paréo moutarde.
C’est convivial, ça sent la saucisse grillée, “ça vient des barbecues communs, faut réserver à l’avance” .
On colle à la vie du voisin, on sait tout ce qui se passe rien qu’en regardant le fil à linge tout garni de la vie interne d’à côté.
On imagine pas, mais ça doit pas être facile de préparer des vacances en camping, vu la quantité de bazar. Il faut bien une charette en zing pour mettre tout si on a pas de caravane, surtout si manman a prévu d’emmener les bocaux de coulis de tomate.
C’est un vrai boulot, toute l’année elle prépare des recettes en disant à papa, tu verras, celle là , au camping!
S’ils sont du genre sportifs, il faut en plus embarquer les vététés , mais ça , je conseille pas pour la tranquillité, parce qu’arrivé au camping, pas question de laisser dormir les vélos sous la caravane, tout le monde vous observe, il faudra au moins se payer un des cols des environs.
Et là, c’est pas pareil si on choisit Barcelonnette ou les monts d’Arrée.
Tout ça pour dire que finalement c’est beaucoup plus drôle d’être là qu’en gîte, où on est tout seul, comme à la maison, avec les mêmes ustensiles, les même manies, et la poubelle à sortir avec le chien.
Ça rassure et ça rend un petit peu triste de voir tout ça et de se dire qu’on leur ressemble, finalement, qu’on est tous comme un grand troupeau de bêtes avec tout plein de bonnes raisons pour rester ensemble. C’est sûr, Venise en plein hiver, c’est chouette, mais si y a pas les regards des autres posés sur nous comme ceux des vaches sur les trains de passage, où est le fun?
En camping, il y a le bonheur de pouvoir zieuter à plein, on est là pour s’extraire de la masse en disséquant les autres vies. On est toujours rassuré parce qu’on voit toujours leurs mauvais côtés , sauf quand tendre chéri fait sa tête de guerrier MowaK et qu’on ressemble au couple béton qui desserre pas les dents en mangeant ses raviolis (pas facile!). Là , on fait vraiment mauvais élève mais en même temps tout le monde se sent plus gentil autour de nous. A ce moment là on est plus entouré que par des familles charmantes ... On a rendu service, quoi..
Il est inutile d’essayer de se sentir supérieur aux autres, on est toujours rattrapé par la réalité. Si ça se trouve dans la caravane jaune d’à côté, le petit maigrichon et sa femme et demi en bermuda rose sont des scientifiques de haut vol dans la vie normale. Et toc..
Les chinois envoyaient leurs intellectuels aux travaux des champs , nous on va au camping, ça remet l’idéaliste d’aplomb dans le contexte, ça renvoie l’épileur d’oeufs et l’écarteleur de mouches à des problèmes plus basiques. Quand aux mégalos, ici, y a pas bien matière à mégaler..
Monter sa tente, par exemple. Rien de plus simple pour chiffonner sa belle image tout de suite. On vautre le beau nylon vert et violet dans la poussière.
Pas de bol, les emplacements des logettes correspondent pile poil aux zones sinistrées, pas moyen de faire autrement , on dormira dans les bosses.
On dirait pas du tout que ce coin a été pensé pour des campeurs.
D’ailleurs, le sol se refuse totalement à la moindre intrusion, les sardines prennent un air mélancolique, la tête penchée. On les achèvent d’un coup de marteau.
Le plus subtil c’est de tirer comme une brute sur la petite ficelle histoire que notre tente soit la plus tendue du camping, puis de coincer la dite-ficelle avec une de nos petites sardines. L’angle est à trouver et judicieux sous peine de se prendre en pleine tête la petite sardine qui rejaillit de terre avec vélocité ..
Maintenant que le fragile édifice est monté avec ses arceaux malingres arqués comme des baleines de soutien gorge sous une poitrine trop forte, on joue la décontraction, on ramasse les débris de sardines, les ficelles non utilisées dont on se demande toujours à quoi elles peuvent bien servir.
On siffloterait presque en regardant les enfants barboter dans la piscine.
C’est en rejetant un coup d’oeil à l’oeuvre d’art qu’on se rend compte du petit oubli: cette zone chauve là-haut! On a juste oublié de placer le petit toit en pagode, le truc qui sert rien qu’à vous embêter parce qu’on l’oubliera forcément à chaque fois, mais qui , si on l‘oublie , transforme assez rapidement la chose en couvre flaque .En cas de pluie, j‘entends.
Avec quelques gesticulations grotesques, et notre belle image de super pro définitivement ternie, on a réussi à remettre le machin en place..
Pour la mallette “table-et-bancs-pour-nains”, y a pas, faut de la maîtrise, sinon, vous risquez de plier l’engin à l’envers. C’est du plastique façon origami, joli, mais fragile. C’est déjà bien de pouvoir s'asseoir, on va pas demander en plus à mettre les deux fesses.
Alors, bien sûr, on a ricané tout à l’heure devant les jolis fauteuils “mémère”, mais qui c’est qui doit être bien installé dans ses coussins imprimés Bahia? Pas nous..
Non, nous ,on a opté pour l’élégance spartiate, un plan de travail qui permet juste de poser le réchaud à condition que personne ne tousse ou ne s’approche du machin pendant toute la durée de l’opération-cuisine.
Aujourd’hui, on a choisi raviolis, comme hier, non, avant-hier, puisqu’hier,c’était cassoulet. Les tireloubettes de soles en flutiaux de morilles panées, on verra ça à la maison, ça serait monotone si on mangeait la même chose en camping. Ici, il faut laisser parler sa nature sauvage, avide de nourritures simples et consistantes , fi de ces élucubrations ampoulées , de cette cuisine alambiquée qui demande plus de deux casseroles.
Les raviolis, c’est bon, si on se place dans le contexte.
Pour finir de bourrer le vide, on s’est proposé quelques chips, avec un bout de pain.
Alors bien-sûr, la grande narguerie, je la vois venir, le jeu très drôle qui consiste d’après les parfums à deviner ce qui se mijote du côté des fauteuils mémère. Parce que là, on a tout prévu, de la cocotte en fonte à la sauteuse, en passant par la machine à raclette. C’est immonde. Une atroce odeur de ratatouille finement huile d’olivée, juste parfumée d’origan, mitonnée trois heures durant .
Je n’ai même pas besoin d’aller voir, pour deviner qu’on aura pas oublié la petite tranchette de parme sur sa tartinette de pain de campagne grillée, et pour aller avec tout ça, je vous met un petit rosé tout embué de frais. Lamentable..
Une mouche s’est engluée dans mon reste de raviolis, et la gourde d’eau tiède est vide. Au secours...Mon chez moi!!!
On était quand même fiers d’être allés au bout de nous même. Quand on est allés au bureau pour dire qu’on partait, on entendait à l’intérieur de nous la musique des “Aventuriers de l’Arche perdue”.
Oubliées , les nuits où on se pose LA question métaphysique: dois je dormir sur le dos, mais je ne m’endormirai pas, je ne m’endors jamais sur le dos, donc je vais me mettre sur le côté, oui, mais de ce côté j’ai une hanche, essayons l’autre côté, j’ai également une hanche et en plus la pente du double toit vient se coller sur mon front moite.
Qu’est ce que c’est que ce bruit, ah, c’est juste le réveil à dix francs, de voyage, mais il est extrêmement bruyant, c’est normal puisqu’il est à dix francs, tiens on tousse dans la tente du 479, j’espère que c’est pas une bronchite sinon, on va l’entendre toute la nuit, et ça , c’est quoi, des gens qui rigolent dehors, à cette heure là! oui, c’est vrai il n’est que 10 heures et demi, mais on est bien obligés de se coucher tôt puisqu’on peut rien faire d’autre...Etc etc..
Oh, des pensées de nuit, j’en ai d’autres, plein, mais ça risquerait de faire long.
On a sortit chacun notre tête de notre logette perso l’autre nuit, pour voir si la tête de l’autre était bien comme on pensait être la notre. C’était le cas, on s’est fait coucou avec les doigts et on est retourné avec nous même.
Le lendemain on a pas dit: “oh j’ai mal dormi, je me suis réveillé plusieurs fois”,
On a rien dit , vu que c’était plutôt, -j’ai pas réussi à veiller toute la nuit, j’ai sombré au moins trois fois dix minutes..
On a fait Barcelonnette le lendemain matin avec une seule idée en tête: trouver des matelas gonflables.
On en a trouvé un. C'est là qu'on expérimente la solidité d'un couple, le "c'est pour le meilleur ET pour le pire" .
Vu que doudou chéri est beaucoup plus fragile que moi, je lui ai laissé le bon, moelleux, extraordinaire matelas gonflable.
Mais en cumulant deux épaisseurs maigres on en fait une un peu moins pire, et puis je suis plus rembourrée là, et là aussi.
Las, doudou chéri a pris froid malgré le moelleux, et quand on est rentré à la maison, en passant par le magnifique col du Lautaret et tout ce qui s'ensuit, j'avais beau faire: Ohhh et là! Ouahhh, Pfiouuu!! Géniaaaal! Tout ça tout ça.
Peine perdue, ma moitié mâle était plié en deux à la "place du mort", le teint rubis, la paupière poussiéreuse et l'oeil larmoyant, un bon 40 de fièvre et des brouettes par là dedans et une angine grosse comme ma main.
C'est pas gai.
On était néanmoins ENCHANTES par notre expérience, et tout prêt à recommencer. Enfin pas tout de suite.
J'ai adoré ce texte car il explique très bien pourquoi nous persistons à camper sans y être contraints...