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Photo du rédacteurannepatay

Balade chronique


Anna-Lise, 2007

Pâques 2001

Rien de tel qu'un espèce de truc aménagé avec des roues en dessous et un moteur dedans pour se raconter des histoires.

On appelle ça un camping-car. Le notre , il est beige jaunasse, on dirait le camion du plombier, avec un petit nez façon bouledogue français, il est d'une extrême laideur, mais je l'aime.

Dedans, on y tiens à quatre . Pas des gros quatre, il faut qu'au moins deux sur les quatre soient plutôt menus, façon enfants, sinon, ça ne fait pas l'affaire. L'affaire est petite, l'espace est parcimonieux, l'ensemble est restreint.

Petites placards, petites banquettes, petit évier, petit frigo. C'est au moins un...2 mètres carrés et demi. C'est pas fait pour vivre vraiment dedans, à moins d'y être contraint, auquel cas on se sent il est vrai extrêmement contraint. C'est plus petit par exemple qu'une cellule de prisonnier, ou de moine Chartreux. (Quoique disposable en duplex comme les studettes des dits Chartreux.)

Comme quoi la liberté n'est pas forcément une histoire d'espace, un petit espace qui bouge par rapport à un vaste espace plutôt sédentaire, ce n'est pas du tout pareil.

Toujours est-il que de découvertes en découvertes, on en est venu à choisir ce petit espace qui bouge.

Si vous imaginez un cinéma pour vous tout seul, où vous pouvez dormir, manger, jouer aux cartes, c'est à peu près ça. Sauf que les documentaires sont silencieux ce qui est un avantage, si ce n'est vos propres commentaires, qui peuvent être absolument insignifiants, ça n'a pas d'importance.

Donc, comme au cinéma, on est là, passif, assis, les yeux scrutant les multiples détails du diaporama.

On a fait notre premier voyage à Pâques. En se disant qu'il ferait forcément froid, qu'il pleuvrait forcément pendant tout le voyage, on allait en Bretagne. En plus.

On était content , avec un soupçon d'inquiétude dans le sourire. On s'imaginait bien, tous les quatre, derrière la vitre ruisselante, en train de contempler une mer grise et désespérée.

C'est à ça que je pensais en mettant les cartes, le jeu de dames, le papier et les crayons de couleur, et une montagne de livres. Les cirés, les bottes.. Le chauffage électrique. Décoder le fonctionnement du wc chimique en cas de tornade empêchant toute sortie.

On met beaucoup de choses , mine de rien. Moi, j'ai toujours adoré jouer aux cabanes. On aurait dit que là, c'était la cuisine, on aurait dit que ce serait le lit, que tu ferais le papa et moi la maman.

Des pulls, en laine, trois pantalons chacun parce qu'ils seront vite mouillés, deux parapluies...

J'ai rempli un carton de boites diverses , sans oublier la bouteille de whisky et le martini, le ketchup et la mayonnaise, l'huile et le vinaigre, le sel et le poivre...toutes ces choses vont forcément par deux.

J'ai pris mon plus gros pull en laine, celui que m'a offert maman pour mes 36 ans, le premier truc qui ressemble à ce que j'aime mettre ordinairement et pas ce qu'elle aimerait bien que je mette. Pour lui faire plaisir. Genre petit gilet en mailles fines fines, bleu marine avec des petits boutons noirs et brillants. Ça me rappelle les chaussures noires très vernies de quand j'avais 5 ans, pour aller avec la petite jupe écossaise et la chemisette blanche...et le petit gilet bleu-marine en mailles finesfines pour aller avec et faire chic-on habitait Rennes à l'époque...

Avec ça la température peut descendre à -10°, je pense.

Quand on part comme ça, on s'imagine qu'on va être quelqu'un d'autre .

Par exemple, je n'écris jamais.

Jamais jamais.

Enfin pas à la main, ou alors juste pour ma grand-mère parce qu'au téléphone , ce n'est plus ce que c'était au niveau compréhension.

J'ai emmené au moins deux carnets de timbres et une douzaine d'enveloppes, plus le carnet d'adresses. On ne sait jamais, tout à coup, au milieu de nulle part aurait pu surgir l'envie furieuse de faire ce que je ne fais jamais : envoyer les cartes de voeux, les trucs pour les anniversaires, les "heureux jeunes mariés, les "alors bientôt la retraite", les hideuses cartes postales qui font douter de tout.

L'angoisse, c'est : qu'est-ce que je vais oublier ?

Pourtant on ne part pas dans des coins où il n'y aurait plus jamais de magasins.

Mais quand même, c'est rassurant de se dire qu'on va être pratiquement autonome pendant une semaine, on aura même pas besoin de sortir du camion.

J'ai pris les maillots de bain. Je sais, c'est présomptueux, mais on ne sait pas, une envie brutale de piscine.. Ou la mer toute grise et glauque qui se la jouerai Côte d'Azur sur granit d'un coup.

Les brosses à dent, le sèche-cheveux, les coton-tiges..

On emmène Galla bien-sûr.

Mais pas son petit panier. Va-t-elle supporter?

On laisse Léon le hamster, Moustique le chat, les poissons rouges qui sont de plus en plus énormes. Heureusement le nourrisseur automatique est assez radin, ils vont faire ceinture pendant dix jours...

On laisse les clés à la voisine.

On part..

On va en Bretagne.

La Bretagne, c'est un mythe. Une légende. Une légende qui pue le lisier. On a des images de la Bretagne dans la tête, les menhirs, les dolmens, les petites maisons de granit, les calvaires, l'herbe bien verte, les petites haies sur les petits murets, le caractère rugueux mais franc des bretons, la mer, qui est si belle.

C'est sauvage et beau, la Bretagne.

On a des idées comme ça sur tout, c'est pratique. Tiens : on passe par Angers! Quand on dit Angers, on dit ?...La douceur angevine ? Oui...

Angers, son château. Une belle ville, tranquille. Les bords de Loire...

Avec un peu de chance , on a tout ça quand on dit juste: "Angers". C'est comme pour la Bretagne.

Oui, c'est vrai, tout ça. Sauf que tous les noms autour Angers, enfin ceux qui se terminent en "é", me donnent le bourdon. Je ne peux pas expliquer pourquoi.

Comme les noms en "ac" des Charentes. Tiens, rien que de prononcer le mot Charentes , je baille. Je n'ai rien contre les Charentes. Ni rien pour.

Les noms en "é" et les noms en "ac" évoquent pour moi la lumière de cinq heures de l'après-midi, quand on traversait en voiture les villages somnolents, les volets fermés, le chat qui est presque allongé sur la route. Le soleil tape sur la vitre avec une morne persistance, j'ai huit ans, mal au coeur, je baille, mais plus je fais rentrer d'air plus je baille. Je m'imagine dans ces villages, dans ces maisons, sur cette chaise devant la porte à regarder la rue. C'est à mourir d'ennui.

Quand j'étais petite, je m'imaginais vivre dans toutes les jolies maisons que je voyais en voiture , durant les interminables voyages d'été.

Mais aussi dans les moches, malheureusement. Ça me rendait très ennuyée.

Mais cet état légèrement dépressif m'a quitté à mesure que je quittai l'enfance.

Maintenant , même quand je vois des endroits moches, ça ne me fait plus rien.

Les alentours d'Angers, ce n'est pas laid . Ce n'est pas extraordinaire; Mais l'architecture est très belle. C'est compris dans le tout.

Je ne sais pas qui a fait les plans, mais à chaque fois qu'on voyait un chouette paysage, les villages étaient moches, et inversement. Une question de justice certainement.

On ne peut pas imaginer que certaines régions aient tout, et d'autres rien.

Pourtant si, ça existe. C'est dégueulasse. Mais on aurait tort d'imaginer que la nature fait forcément bien les choses. L'homme encore moins.

Il existe un nombre incalculable d'endroits où tout est moche : les maisons, les gens, la campagne. Mais il n'y a que quand on passe rapidement qu'on s'en aperçoit. Après on s'habitue.

Il existe aussi miraculeusement des endroits magnifiques avec des gens gentils.

Tiens, par exemple, on est passé à Bourges pour revenir. Je sais, c'est ce qu'on appelle un raccourci audacieux, mais c'est pour rompre le rythme. Vous suivez?

Donc, qui parle de Bourges ? Personne, on ne sait même pas comment s'appellent les habitants de Bourges.

Je ne vous le dirai pas.

Et bien Bourges, c'est splendide. Petite ville harmonieuse, qui a réunit pour jouer à la ville les plus beaux bâtiments du coin, couvent, château, cathédrale, plus des tas de maisons à la pierre beige chaude et au toit de terre cuite rouge foncée, plus des rues sympa pas pleines de pub et de parcmètres, plus pas de zones artisanales berk à traverser que déjà on a envie de fuir.

Je ne suis pas du tout objective.

C'est un parti pris.

D'ailleurs je suis de parti pris. C'est bien fait.

Objective , je dirais : Oui! Bien-sûr, elle a tout ça ! Mais il y a sûrement des inconvénients. Tenez, il n'y a pas la plage. Je dirais même plus, il n'y a pas de montagne. Pfff.

Mon manque total d'objectivité me pousse à dire qu'une ville aussi belle qui se fait aussi peu remarquer ne peut être que remarquable.

C'est vrai qu'on partait optimiste, enfin moi, surtout. Or dans ces cas là, j'ai tendance à tout trouver parfait.

Après Angers, on est allés se fourrer dans Nantes, pour voir mon frère. Je sais bien qu'avec la rivière on devrait se repérer, mais je ne sais pas pourquoi, où que je me tourne , il n'y a que des maisons , et des rues, et des maisons, et des têtes de Nantais. Si si, les Nantais ont une tête de Nantais.

Ce n'est pas un jugement, c'est une constatation.

Le Nantais est aigu, mais moins rugueux que son cousin du Sud Bretagne.

On aurait dû se perdre avec toutes les indications qu'on a demandé et qu'on nous a donné, toutes contradictoires. A chaque fois, il fallait prendre tout droit tout droit puis tourner dans un sens ou l'autre.

Finalement, on a quand même trouvé. Il faut dire que pour ne pas tomber à un moment ou à un autre sur un quai de rivière, il aurait vraiment fallu y mettre de la mauvaise volonté.

J'ai cherché mon frère à la fenêtre de quelque chose d'ancien et de caractère; Je ne l'imagine pas autrement qu'à la fenêtre de quelque chose d'ancien et de caractère .

Pas du tout par exemple au balcon en fer forgé noir et luisant d'un pavillon années 70, rose avec une espèce d'arcade en fausses pierres au dessus de l'entrée.

Pas du tout non plus à la porte d'une chaumière reconstituée comme de l'ancien, poutres en polystyrène , chaume synthétique, meubles Atlas. Dans le salon, ce magnifique ensemble marron capitonné faux cuir avec clous en plastique plaqués laiton. Et cuisine aménagée. Non, pas là non plus.

Enfin bref, il était effectivement à la fenêtre légèrement torse aux carreaux inégaux d'une de ces hautes maisons d'armateurs qui bordent le quai, mélangées à d'atroces immeubles grisâtres . La cour est intérieure et laisse entrevoir les volées de marches de granit poli, l'appartement est tortueux et haut de plafond, austère à souhait, le feu crépite doucement, la blague à tabac et la pipe est bien sur la table ainsi que les livres d'art. Nous sommes chez Marc.

Après cet intermède calme et posé, nous sommes retournés dans notre petit camion jaune pour prendre la route de Bretagne, la route de Bénodet.

A la limite, si on veut garder une image complètement pure et magique de la Bretagne, il vaut mieux aller se promener sur la Côte d'Azur. Là-bas, on peut vraiment avoir la nostalgie de ce ciel barbouillé de blanc de gris et de bleu, de ces rafales parfois chargée de bruine, de ces champs verts arrosés de caca de cochon liquide. Mais nous n'avions pas peur de la réalité.

Il y deux façons d'aborder le problème : ou on est extrêmement défaitiste et méfiant d'avance, ce qui permet le moment venu de faire: "oui, finalement, ce n'est pas si atroce que ça. Ou on arrive en remuant la queue, trouvant tout merveilleux à tout prix, et là, on risque l'aigreur d'estomac à retardement à force d'avoir souri quand on avait envie de pleurer.

Moi j'avais choisi sans faire exprès de ne pas m'en faire , j'ai jamais appris le Breton, ni les danses de Fest Noz, je sais bien qu'il y a une ségrégation entre les Celtes et les Gallo , entre ceux du dedans et ceux de la côte, entre ceux du Sud et ceux du Nord, entre le village de là et celui d'à côté, entre les éleveurs de porc et les écolos, entre la crêpe au froment et la galette de blé noir. Mais je ne prend pas parti.

Je suis Bretonne, donc j'ai le droit de me foutre des Bretons, non?

Vive la Breta-gneu, vive les Bretons. Vive la pollution, vive l'arrachage des haies, vive l'eau nitrée , vive les algues vertes, vive l'air pur au lisier. Je sais, on rabâche.

On était loin, on s'imaginait que malgré tout, elle avait ce goût salé, ce charme mélancolique .

J'ai pas tout retrouvé.

Je ne me souvenais plus de cet humour particulier du Breton qui sort de l'hiver et voit arriver les premiers touristes. Rugueux.

Je ne me souvenais plus de ces villages pourléchés du bord de mer, petites maisons blanches aux volets bleus, et tout ce granit.

Un village coquet, ici, on dirait la maison d'un plombier, d'un électricien, d'un gars qui sait faire plein de trucs de ses mains, mais pas forcément tout à fait l'oeil à la juste mesure. Les vieilles maisons sont tellement récurées qu'on dirait qu'elles sont neuves. Je sais, le granit à toujours l'air d'être posé de la veille. On a collé un peu le même genre de bleu partout puisque ça va bien. On a fait des places en granit, des murettes en granit, des bancs en granit.

J'ai traîné tendre chéri dans la baie d'Audierne, là ou papa avait une maison.

Il faut aller jusqu'à Plonéour Lanvern et piquer vers la mer.

Je me souvenais d'un paysage sourd, d'un ciel laiteux, du cri des vanneaux. Je ne me souvenais pas que tout simplement ce pays était vide et lancinant, plat, balayé de vent, séparé de la mer par du marais, usurpé par les agriculteurs, cachant malgré lui ses trésors de petites chapelles miniatures posés sur le feutre de l'herbe. St Vio, Tréminou, Tronoën, des merveilles fermées au visiteur, on aperçoit juste un ex-voto , une splendide maquette de bateau dans l'ombre . C'est un pays pour les pugnaces .

On a trouvé à l'Ile Tudy le petit camping ouvert en cette saison , le seul. A noter que dans des tas d'autre régions, il y a déjà plein de campings ouverts, mais pas ici.

Alors, on avait pas intérêt à se plaindre, hein!

Le camping de l'Ile Tudy est municipal, comme le terrain de foot. Je dis ça parce que les sanitaires sont à partager entre les deux.

Un bloc sanitaire de terrain de foot n'a pas grand chose à voir avec un bloc sanitaire de camping deux étoiles. Normalement.

Un bloc sanitaire de terrain de foot est vaste, solide, minimaliste : pas de portes aux douches , pas de lunette de cabinet et tout ce qui ne sert pas fermé à double tour. Il peut y avoir de l'eau chaude, comme il peut ne pas y en avoir.

Mais finalement le terrain de camping ressemblait lui aussi à un terrain de foot: petit , rectangulaire, plat, et c'est tout.

Sauf que. Sauf que...

Sauf qu'on étaient tous seuls ces trois jours là, avec la clé du dit bloc. Le soir venu, on allait fermer le portail comme chez nous , et surtout, surtout, on venait se garer tout contre la haie, la haie qui sépare ce petit camping de rien du tout de la mer.

Alors finalement avec notre ironie à deux sous, on était bien content , avec le bruit de la mer, le doré de la fin du jour, le sable doux qui file entre les doigts, les petits gars qui courent sur plage, et l'espèce de vent qui siffle en poussant doucement notre scarabée de camion.

C'est peut-être ça qui fait que malgré tout, quand on y repensera , à la Bretagne, au bout du bout de l'autre côté de la France, on y aura quand même droit, à la nostalgie.

Les Bretons d'ici, on dirait que c'est mon frère Franck qui les a dessiné. Ils ont la tête incurvée vers l'intérieur, longue, les joues à l'envers, l'oeil est bleu, certes, mais comme noyé. Madame, jeune, est alerte et vive, la peau bien serré sur un petit visage aux pommettes hautes, et comme une sorte de raideur entre les deux épaules.

Je parle de ce petit coin ci, bien sûr. Dans ce petit coin là, ce serait sans doute différent. Je ne me mouille pas..

Le pays Bigouden est bizarre. Voilà des gens qui devaient être singulièrement entêtés et orgueilleux pour adopter la coiffe la plus inadéquate possible au climat d'ici. Mais bon, c'est les femmes qui portaient ça. C'est bien pratique, les femmes, pour porter toutes sortes de symboles . Les négresses à plateaux, les femmes girafe, les Bigoudènes façon phare.

Donc les Bigoudènes devaient se taper cet espèce de tuyau de trois mètres de haut pour affirmer l'indépendance et la fierté des Bigoudens. Ben ...

Ou va se placer l'orgueil parfois..

On a trouvé plein de coquillages. La plage de l'Ile Tudy est une plage aux trésors, des petits bigorneaux, des pointus, des ronds, des minuscules tout jaunes, des grands blancs, je ne connais pas les noms, mais j'adore ramasser les coquillages, et aussi prendre dans ma main une poignée de cet espèce de sable épais fait de milliers de petits grains luisants et ronds.

Le sable est propre, un vrai miracle , une seule tache de goudron sur la chaussure. Alors ça , oui, c'est fortiche, rien à dire. Chapeau.

Je dis ça pour ceux qui feraient mine de ne pas se rappeler, mais on est en pleine zone sinistrée, ici, du goudron dont on fait les martyres.

Il y avaient les calvaires bretons en granit, maintenant il y a les oiseaux martyres en goudron qui tirent le bec vers le ciel pour une ultime goulée d'air, c'étaient sur tous les journaux.

Pendant ce temps là, loin loin dans une belle région de montagne , on s'est planqué, rétréci, feignant l'indifférence , avec l'estomac qui bloblote d'indignation et la peau des doigts rongée d'admiration pour tous ceux qui allaient se les fourrer , les doigts, dans le dégueulasse. Pour pas un rond..

Dans "petit camion jaune", c'est petit et grand à la fois. Pour une fois on a pu prendre tous les coquillages, et s'il y avait eu des cailloux, on les aurait pris aussi. Le bonheur.

Le soir quand on va s'installer pour la nuit, on dirait quatre hamsters qui font leur nid, papa hamster monte le toit qui se déplie miraculeusement, tapote le matelas, regonfle le traversin, on flatte le drap et on extirpe la couette 1 du coffre à couettes. Tout doit être fait dans l'ordre et la minutie .

Petite échelle pliante dépliée, posée contre l'armoirette de toilette- y penser car celle-ci est maintenant inaccessible - les petits hamsters juniors ne sont admis dans le haut du nid qu'une fois récurés dans la douche de foot.

Petits pieds froids sur barreaux glacées, les marmousets s'installent avec des petits bruits animaux, se chamaillent le bout de couette, se griffouillent, se chatouillent, bisous sur les museaux et les petits loirs s'endorment en rond sous la couette à carreaux, non s'en s'être disputé le bout de drap qui fait pourtant deux fois la largeur exigée.

Papa hamster et maman hamster replie l'échelle et aménagent le bas du nid. Ça chuchote , ça se cogne, une fois le lit déplié, impossible de gambader, on file à notre tour dans la nuit froide vers les douches sportives.

On a quitté la côte sans se retourner, vers Quimper.

Se poser sur une petite place de parking au bord de la rivière et déplier la cantine au milieu du trafic de midi , c'est rigolo. On a l'impression de transgresser le rôle du touriste moyen qui consiste à aller se faire plumer dans le premier resto typique du coin.

On s'est payé le luxe d'une petite salade fraîcheur , tous les quatre dans notre nid, à regarder en mâchouillant gravement les piétons qui essayent de ne pas nous voir. C'est indécent ces gens qui mangent dans leur véhicule, des gens du voyage peut-être, il y a des terrains pour ça..

Puis flânerie obligatoire dans les vieilles rues bordées de vieilles bâtisses, les pavés, les maisons penchées à pans de bois, celles avec leurs gargouilles perso aux têtes toutes mangées d'âge, on est rentré en faisant chut avec les doigts dans la cathédrale.

Quand on est pas croyant, rentrer dans une église, c'est comme rentrer dans la maison de quelqu'un sans y être vraiment invité. On est tout pataud, tout timide, les codes, on les a pas, le bénitier (en granit) rempli d'eau, on le regarde avec envie, si nous aussi on pouvait trempatouiller nos mains là.

Alors on regarde les vitraux. Petit Mimi et grand Mimi ne sont pas dérangés, eux, par l'atmosphère un peu glauque. Ils regardent , ils commentent, comme dans une galerie de tableaux. Les vitraux, c'est des BD un peu spéciales, avec des gens à qui on coupe la tête ou qu'on enchaîne ou qu'on fouette, c'est selon. Ils ont des ronds sur la tête , il y a des dames à l'air penché. C'est assez violent mais les couleurs sont chaudes et lumineuses.

Dehors, il y a un superbe manège à deux étages avec des vrais chevaux en bois, complètement emballés. On ne peut pas rater ça.

On ne sait pas ce qu'on va retenir, et ce n'est pas important. Peut-être que ce sera juste le manège, ou le thé à la bergamote dans le bar-brasserie qui sent le cendrier.

J'ai ouvert avec délices la carte routière. Pour rejoindre Rennes, on passera par les montagnes noires. Ce sera forcément bien.

On avait peut-être pas envie d'être séduits, mais on a pas trouvé ça chouette. Si! Les genêts en fleur qui faisaient comme des gros paquets sur les bords des routes . On voyait bien que ce n'était pas arrangé exprès . Que la nature, malgré tout, n'en faisait qu'à sa tête à cet endroit là. Et qu'elle en aurait fait, des jolis coups, si on lui avait laissé aussi toutes ces terres ci et toutes ces terres là. Mais ici et là, les tracteurs ont la chiasse en cette saison, et crachouillent de bien vilaines choses sur les champs, soit disant pour qu'ils soient plus beaux.

Les haies sont hérissées de moignons , parce que les arbres des haies, ici, servent depuis des lustres à fournir des fagots. Ça fait des troncs à la Edgard Poe, des sinistrés , des amputés , qui vont encore , cette année, tenter de lancer quelques branches vers le ciel, histoire d'y mettre deux trois feuilles.

En arrivant dans le pays de Rennes , on a commencé à traverser des villages violets, c'est la pierre d'ici. Je ne peux pas vous dire ce que c'est, parce que quand j'étais petite et que j'avais posé la question à la maîtresse, elle m'avait dit que c'était de la pierre violette.

Tout est en pierre violette, donc, cernée de blanc, ça fait des villages sérieux, et en même temps on dirait qu'on les a découpé dans un livre de coloriage.

En tout cas, c'est pas dans ces coins ci qu'on trouvera du laisser-aller, des hangars qui pendent, des jardins en friche. Ici on est pas dans un coin pour les paresseux. Ici on ne pose pas sa chaise devant la porte pour regarder le rien. Ici on balaye, on nettoie, on époussette. On a toujours un truc à faire. Si je devais attribuer un signe astrologique à la Bretagne, je dirais qu'elle est à tendance capricorne. On est pas là pour rigoler.

On a trouvé le chemin du camping, près du lac de Trémelin, sous les pins . Il fait froid.

Le ciel de la côte qui est toujours hésitant entre le gris et le bleu , aurait l'air de quoi ici ? Non, non, on nous a mis un truc gris là-haut, qui n'est pas près de bouger, du sûr, de la qualité.

On navigue entre les pins avec une houle de terreau force cinq, le gardien nous a dit par là, oui, mais par là, on va dormir à l'envers , la gravitation étant ce qu'elle est. "Camion" se cale dans un trou avec un gros soupir. Il a choisit. Tant pis pour la pente.

Si on devait choisir le type de douche qu'on préfère, ce ne serait pas forcément celle de foot, mais en tout cas , ce ne serait pas celle de Trémelin. Elle a des façons télégraphistes qui rendent difficiles son exploitation. Ou alors si, pour les gens qui ont trois mains.

Il en faut une pour appuyer en permanence sur le bouton, sinon, elle s'arrête tout de suite. Pas de risque de gaspillage, pour sûr. Mais avec une seule main comment faire pour déboucher le gel douche qui est particulièrement hermétique, puis s'en verser une petite quantité dans la paume, puis envisager le passage du dit gel sur la totalité de notre surface corporelle. Sans compter qu'il faudra reproduire ce geste encore au moins deux fois, parce que l'inconvénient du gel douche est qu'il se dépose où vous passez la main. Le savon est beaucoup plus pratique, mais ce gel douche là a une odeur tellement , tellement propre..

J'adore ce nouveau moyen de voyager mais je ne l'envisage qu'à une condition: trouver chaque soir de quoi me doucher, et si possible , confortablement. Sinon, je meurs.

Si je devais choisir une pièce entre toutes dans la maison, ce serait la salle de bain, j'aimerais une maison salle de bain, lumineuse, confortable, avec des fauteuils, de la lecture, des plantes vertes, oui j'avoue, c'est mon fantasme.

Foin donc pour l'instant du raid sueur et puanteur de pieds des "vrais de vrais" du voyage. C'est pas mon nirvana à moi.

Voilà pour la parenthèse.

Donc, on a bien pesté pour ces façons de douches radines et qui plus est écossaises, puisque dès qu'on arrête d'actionner le machin, la tuyauterie du bout du monde qui doit baigner dans la glace , sans doute, nous recrachouille deux minutes après une eau qui n'a jamais connu le chauffe-eau.

C'est moi qui ai fait office de troisième main pour les petits mimi, tant pis pour le pull qui redescend toujours sur le bras. Les pulls et l'eau , c'est à noter font rarement bon ménage, qu'on essaye de se caler les manches en haut du bras avec le menton ou les dents quand on se lave les cheveux ou ceux des enfants ou qu'on se lave la figure au dessus du lavabo, l'eau a toujours raison et fini par s'infiltrer entre la laine et la peau, provoquant une gêne indéniable, et ce gratouillis particulier qu'occasionne la laine mouillée. Berk.

Bref on a été modérément satisfaits de cette petite halte même si c'était pas cher et quand même joli, avec le lac et tout, et un petit pinson près de l'eau sur une souche. On a même pas eu un regard pour le mini-golf en partant.

On a retrouvé quelques dizaines de kilomètres plus loin notre ancien terrier, notre zone, notre coin, le village le plus moche de France : Bruz.

Rien que son nom est une offense à l'oreille, c'est à mon grand désespoir presque mon village de naissance, qu'on le prononce Brû avec les lèvres toutes rapprochées et avancées , ou Bruzzz avec un soupçon d'ironie, c'est loin d'être gracieux.

Bruz, ses lotissements variés, ses ronds-points fleuris, son Intermarché, je sais que je suis injuste, mais je peux tout me permettre , j'y suis née.

Les Bruzois , les joues écarlates, parlent avec l'accent d'ici, en vous projetant à la figure ce qu'ils ont à dire , une brusquerie maquignonne.

Il y avait deux jolies choses à Bruz, sa petite mairie de poupée, toute blanche avec son petit clocheton, plantée bien droite sur une placette à arbres maigres, et le coin où on habitait, touffu, presque sauvage, avec sa ruelle bordée de vieilles maisons paysannes en pierres rouge foncée, et sa majestueuse et secrète demeure des évêques de Rennes, le Manoir.

L'une a été rasée, l'autre se banalise sous l'assaut des lotissements, le Manoir a été remis à neuf. Tant pis, tant mieux, le voilà reparti encore pour deux trois siècles.

On est pas passés là sans rien en penser, mais ce n'est plus notre passé.

Il y a des moments où il y a des blancs, blancs à l'estomac, à la cervelle, on est comme dans un espèce de fromage mou, on ne sait plus trop ce qu'on pense.

Ça m'a fait ça quand je suis descendu du camion, on l'avait garé sous l'énorme châtaignier de l'entrée.

J'ai posé mes pas sur le pont au dessus des douves, j'ai légèrement incliné la tête en passant sous la monstrueuse porte en bois qui n'a plus l'air de tomber prochainement, j'ai longé le mur de l'ancienne étable et j'ai vu le Manoir, ma maison, le royaume magique.

Il a changé, pas assez, j'aurai voulu ne rien reconnaître. Les anciens garages voutés sont devenus des appartements chics aux apparences d'orangerie.

Une méchante petite caméra me fixe, accrochée au mur, les visiteurs sont examinés à la loupe.

Je ne fais que lorgner sans oser rentrer plus, la cour a son laisser aller habituel, les herbes folles poussent dans les plates bandes de grand-père, la pelouse en forme de fesses avale le puits disparu sous le lierre,

La façade de ce côté a gardé son crépi écaillé , sa vigne vierge et ses trompettes de Jéricho, je ne sais plus s'il y a encore la petite bordure de buis où je trouvais des escargots jaunes et noirs.

Les hautes fenêtres me toisent, comme elles me toisaient déjà. Madame est occupée ailleurs, par d'autres gens, par d'autres vies.

Au fond, on a fait que passer, un peu plus d'un siècle, qu'est-ce que c'est dans la vie de cette demoiselle de bonne famille, qui fait avec l'âge un peu vieille fille.

De l'autre côté, elle fait sa gueule de majestueuse, on lui a mis une robe de mariée presque blanche et ses boiseries de céladon pâle me rassurent. Je ne la reconnaît pas bien, mais je ne la sens pas affublée, maquillée, trompée. C'est un lifting de première classe, et de la voir retrouver sa jeunesse m'intimide, je l'ai connu vieille dame.

Elle est éclatante, dépouillée de ses haillons , de ses lambeaux , juste posée sur le vert, encadrée par du bien tenu, du taillé, on la voit comme si elle était nue.

Et nue, elle est bâtie comme une reine...

Le blanc dans ma tête se dissipe, l'inconnue posée là ne me donne pas de regrets, on repart.

On est passé voir ma grand-mère, d'ordinaire je dis: ma grand-mère-de-presque-cent-ans.. Et c'est bientôt vrai ,dans... quelques mois.

Mamie blue est passée de l'autre côté, elle a perdu son regard bleu de glace , ses yeux sont troubles et noyés de jaunâtre, elle me regarde sans me voir, son regard est en dedans , dans le monde en couleur qui reste dans sa tête, sa bouche est imprécise , ses mots comme des cailloux qui roulent dans l'humide, je pose mes mains rugueuses et dures sur les siennes douces, si douces, qu'on dirait qu'elles vont fondre entre mes doigts comme un savon.

L'âge la mange de l'intérieur, la peau semble un rideau de théâtre sur une scène vide , elle me donne des envies de la prendre comme un oisillon .

Il n'y a que les infirmières pour rire dans tout ce désastre, pour tancer ce vieux monsieur qui s'égare, cette demoiselle qui boit dans sa soucoupe, leurs voix pointues lancent dans le ténu de leurs vies des secousses électriques.

On recule à pas de loup, laissant mamie blue à ses brioches et à son thé.

On est redescendu vers nos montagnes, on était pas pressé, il fallait profiter des dernières heures perchés dans le camion brinquebalant, nous gaver les yeux de toutes ces terres, de ces bois, de ces villes, même les moches, même les tristes.

Les plaines du centre, les bords chahutés du massif central, Lyon, enfin on a reconnu le pétaradant de nos montagnes.

Ce n'est pas notre pays, mais quand on y revient, c'est comme si on mettait un manteau qu'on aime ..

Moustique comme à son habitude nous attendait , assis à l'entrée, bien droit, les yeux plissés, ses pattes bien rangées.

Pendant notre absence , il a squatté la maison de poupée, dans la véranda, il en a chassé les habitants, les petits meubles en pot de yaourt, et a fini par virer le toit qui le rendait sans doute claustrophobe.

Il a aussi tenu à marquer son territoire sur le tapis.

Après tout, si ça lui a apporté du réconfort..

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